Le Déclic du « Flow » : Comment le Pilotage Actif Change Absolument Tout.
On est tous passés par là. Ce sentiment frustrant, presque résigné, au milieu d’une descente. Vous êtes sur un vélo magnifique, une machine de guerre conçue pour dévaler les sentiers, et pourtant, vous avez l’impression d’être un simple sac de patates sanglé sur le cadre. Le vélo semble avoir sa propre volonté. Il choisit de percuter LA pierre que vous vouliez éviter, il se fait secouer dans tous les sens dans les racines, et chaque virage ressemble plus à une dérive incontrôlée qu’à une courbe maîtrisée. Vos bras tétanisent, votre dos crie grâce, et à la fin, vous êtes soulagé d’être en bas, mais sans la satisfaction d’avoir réellement « piloté ».
Si cette description vous parle, je veux que vous sachiez une chose : c’est normal. C’est même une étape quasi obligatoire dans la vie d’un VTTiste. Ce n’est pas un manque de talent, ni forcément un problème de matériel. C’est simplement que vous êtes en mode passif, un mode de survie que votre cerveau adopte par défaut.
Mais aujourd’hui, nous allons changer ça. Cet article est votre guide, votre session de coaching personnalisée. Nous n’allons pas seulement survoler des concepts, nous allons les disséquer, les comprendre et vous donner des outils concrets pour les appliquer. L’objectif ? Que vous deveniez le sculpteur de vos trajectoires, et non plus le bloc de marbre qui subit le sentier. Que vous passiez du statut de passager à celui de commandant de bord.

Le Diagnostic – Votre Vélo est un Miroir Impitoyable
Le diagnostic commence ici : le pilotage passif est avant tout un état mental de défense. Face à la vitesse, à la pente ou à la complexité du terrain, c’est votre cerveau reptilien, celui de la survie pure, qui prend les commandes. Son unique objectif est de minimiser le risque ressenti. Pour y parvenir, il active des réflexes qui sont, ironiquement, l’antithèse de ce qu’exige le VTT : crisper les muscles, figer le regard sur le danger, et annihiler l’amplitude des mouvements.
Pour que cette distinction soit absolument limpide, j’ai préparé un tableau comparatif. Prenez un moment pour le lire honnêtement : il vous révèlera sans détour où vous vous situez le plus souvent.
| Critère | Pilotage PASSIF (Le « Sac de Patates ») | Pilotage ACTIF (Le « Commandant de Bord ») |
|---|---|---|
| La Position | Droit, voire assis sur l’arrière (« en passager »). Bras et jambes raides, agissant comme des piquets qui transmettent tous les chocs. | Fléchi, centré, bas. Coudes et genoux hauts et écartés, prêts à bouger. Le corps devient une suspension supplémentaire. |
| Le Regard | Scotché sur la roue avant ou 2 mètres devant. Subit les obstacles car il les découvre au dernier moment. | Loin devant, scanne le terrain de manière large, anticipe la sortie du virage, la réception du saut. Le cerveau a le temps de planifier. |
| L’Action | Subit le terrain. Le vélo heurte les obstacles et le corps encaisse passivement les chocs. On entend « BAM… BAM… BAM ». | Utilise le terrain. Pompe les compressions, allège le vélo sur les racines, engage le vélo dans la courbe. Le son est plus doux, « WHOOSH… ». |
| La Sensation | Le vélo est instable, fuyant, le grip est précaire. On a l’impression de « flotter » sans contrôle. Grosse fatigue musculaire (bras, dos). | Le vélo est scotché au sol, le grip est maximal. On sent une connexion directe et maîtrisée avec le sentier. La fatigue est plus globale, moins localisée. |
| Le Mental | Anxiété, réaction, sentiment d’être dépassé. « Pourvu que ça passe ». | Confiance, anticipation, sentiment de contrôle. « Je vais passer là ». |
Si vous vous reconnaissez majoritairement dans la colonne de gauche… Alors, bravo ! Vous venez de réaliser le diagnostic le plus important : celui de votre propre état mental sur le vélo. Mieux encore : vous êtes à l’aube de découvrir une toute autre discipline. Un pilotage plus sûr, plus rapide, et, je vous le promets, infiniment plus gratifiant.

La « Sainte Trinité » du Pilotage Actif – Les Gestes Fondateurs
Passer en mode actif ne dépend pas d’un secret, mais de trois piliers fondamentaux et indissociables. Considérez-les comme votre nouveau mantra. Oubliez les détails accessoires pour l’instant ; ces trois points sont la base. Nous allons les décortiquer ensemble.
Pilier n°1 : La Position d’Attaque – Votre Système d’Exploitation (BIOS)
La position d’attaque, ce n’est pas une option ; c’est LE système d’exploitation de base de votre pilotage. Sans elle, aucune « application » (que ce soit un virage serré ou un saut) ne peut s’exécuter correctement.
Commençons par la base : les pieds. Vous devez maintenir les pédales à l’horizontale avec les talons juste un peu abaissés. C’est instantané : vous descendez votre centre de gravité pour une stabilité maximale. De plus, vos mollets et cuisses sont pré-engagés, prêts à fonctionner comme des ressorts actifs. Cette préparation passe aux jambes, qui doivent être fléchies et écartées, sortant franchement de la ligne du cadre. La flexion est votre première suspension ; l’écartement vous donne une assise latérale incroyable, vous permettant de laisser le vélo bouger sous vous sans perdre l’équilibre.
Vient ensuite l’ancrage, soit votre bassin et votre buste. Les hanches sont en arrière, mais le buste reste bas et tendu vers l’avant. Le poids doit être majoritairement sur les pieds. L’objectif est de garder le centre de gravité bas et centré entre les essieux pour un grip parfait à l’avant comme à l’arrière. Attention : trop reculer, et vous perdez la direction ! L’élément clé souvent mal compris concerne les bras et les coudes : ils doivent être hauts et écartés, comme si vous teniez un ballon surdimensionné. Des coudes hauts vous offrent une force de levier maximale pour diriger le cintre. Ils absorbent les chocs en poussant/tirant, et surtout, ils sont votre garde-fou contre l’OTB (chute par-dessus le guidon) : vos bras absorbent la poussée au lieu de se bloquer. Enfin, la tête doit être droite, le menton haut, et le regard toujours porté loin devant. Votre corps suit votre tête. Si vous regardez le trou, vous allez dans le trou. Le regard doit être toujours là où vous voulez aller.
L’Exercice du Parking (Votre Première Session) : Sortez sur un parking plat. Forcez-vous à adopter cette posture, d’abord à l’arrêt, puis en roulant lentement. Sentez cette nouvelle stabilité. Demandez à un ami de vous pousser légèrement sur le côté pour tester : vous devriez sentir la résistance active que vous générez.
Moduler la Position : La position d’attaque n’est pas un bloc de béton. C’est une base dynamique.
- Dans la pente raide : Vos hanches reculent encore plus, mais votre buste reste le plus bas possible pour garder du poids sur l’avant.
- Dans les grandes courbes rapides : Vous vous abaissez encore plus pour maximiser le grip et l’aérodynamisme.
- Dans les épingles serrées : Vous vous redressez légèrement pour avoir plus de mobilité et pouvoir tourner le vélo plus facilement.

Le Regard Moteur – Votre GPS Interne
On le dit et on le répète, mais c’est une vérité absolue : votre vélo ira toujours là où vous posez les yeux. Le pilote passif est victime du « piège de la fixation » : il fixe l’obstacle (la pierre, la racine) et, comme un missile à tête chercheuse, il va droit dessus.
Le pilote actif utilise son regard comme un GPS. Il ne regarde pas où il est, il regarde où il veut aller.
- Le Balayage Actif : Ne fixez jamais un seul point. Vos yeux doivent être en mouvement constant, balayant le sentier de loin (où serai-je dans 3 secondes ?) à plus près (comment j’aborde cette section ?), puis de nouveau loin.
- Casser la Fixation : Quand vous voyez un obstacle qui vous fait peur, forcez-vous consciemment à regarder l’espace vide à côté, la ligne d’échappatoire. Votre corps suivra cet échappatoire.
- La Connexion Tête-Hanches : Le pilotage, c’est une chaîne de mouvement. Tout part du regard. Votre tête tourne pour regarder la sortie du virage, vos épaules suivent, puis vos hanches s’engagent, ce qui incline le vélo. Le regard n’est pas passif, il est l’initiateur de l’action.
L’Exercice des Portes : Sur un sentier que vous connaissez bien, identifiez des « portes » virtuelles (deux arbres, un rocher et un buisson…). Votre seul et unique objectif est de fixer du regard la porte suivante, en ignorant complètement ce qui se passe sous votre roue avant. Au début, c’est terrifiant. Vous aurez l’impression de rouler à l’aveugle. Puis, la magie va opérer. Votre corps, libéré de la micro-gestion, va se mettre à réagir instinctivement et correctement aux petits obstacles. Vous allez sentir le vélo se placer tout seul dans la bonne direction.
L’Intention et l’Action – Le Dialogue avec le Terrain
C’est le pilier le plus subtil, mais c’est celui qui fait la différence entre un bon pilote et un excellent pilote. C’est le passage de « je suis sur le vélo » à « je fais corps avec le vélo ». Un pilote passif subit les forces G. Un pilote actif les crée et les utilise. Le concept clé est de rendre le vélo tantôt « lourd » pour créer du grip, tantôt « léger » pour franchir les obstacles.
- Rendre le Vélo LOURD (Le « Poussé ») :
- En virage relevé/compression : Au lieu de vous faire écraser, poussez activement avec vos bras et vos jambes dans le vélo, comme si vous vouliez l’enfoncer dans le sol. Cette force augmente la pression des pneus sur le terrain, créant un grip phénoménal et vous propulsant en sortie.
- Le Pompage : C’est une succession de « poussés » dans les creux du terrain pour générer de la vitesse sans pédaler.
- Rendre le Vélo LÉGER (Le « Tiré » ou l’Allègement) :
- En survolant les obstacles : À l’approche d’une zone de racines, au lieu de la percuter, allégez le vélo en pliant rapidement vos bras et vos jambes, comme si vous vouliez le soulever sous vous sans que vos pieds ne quittent les pédales. Le vélo va « flotter » au-dessus de l’obstacle. C’est la base du « bunny hop ».
- L’Amorti Actif : Quand un choc est inévitable, au lieu de le subir en vous raidissant, accompagnez-le en pliant vos membres. Vous absorbez l’énergie au lieu qu’elle ne vous déséquilibre.
Pensez à un dauphin. Il ne flotte pas passivement. Il ondule, il utilise son corps pour se propulser dans l’eau. C’est exactement ce que vous devez faire. Devenir le dauphin, pas le rondin de bois.

Le Laboratoire – Transformer la Théorie en Réflexe
Très bien, vous maîtrisez maintenant les trois piliers qui feront de vous un pilote actif. Attention : tenter de les appliquer tous en même temps est le meilleur moyen de se sentir complètement dépassé et, au final, de ne rien changer. La progression efficace doit être structurée et méthodique.
Votre Feuille de Route d’Entraînement Concret
Je vous propose de découper votre apprentissage sur six sorties :
Sorties 1 & 2 : Focus POSITION (Votre Nouveau Par Défaut). Pendant ces deux sorties, votre unique obsession sera la position d’attaque. Roulez sur des sentiers faciles et connus, à environ 50% de votre vitesse habituelle. À chaque début de descente, forcez-vous à annoncer à voix haute : « POSITION !« . Vérifiez vos coudes hauts, vos talons abaissés, vos genoux fléchis. L’objectif est simple : transformer cette position technique en votre nouvelle posture automatique, sans même y penser.
Sorties 3 & 4 : Focus REGARD (Le GPS). La position commence à devenir naturelle ? Parfait. Maintenant, consacrez 80% de votre attention à votre regard. C’est le moment d’appliquer l’exercice des portes. Vous aurez l’impression de régresser au début, c’est une réaction normale du cerveau qui lâche ses mauvaises habitudes. Persévérez. C’est à ce stade que les vrais changements s’opèrent.
Sorties 5 & 6 : L’Introduction de l’ACTION. Maintenant que la position et le regard sont en place, commencez à introduire le Pilier n°3. Sur des sections que vous maîtrisez, commencez à penser « POUSSER » dans ce virage, ou « ALLÉGER » sur cette racine. Ne le faites pas partout, concentrez-vous juste sur un ou deux mouvements intentionnels par descente.
C’est une progression itérative. Adoptez la patience du pilote actif, et vous débloquerez un potentiel que vous ne soupçonniez pas.
Les Pièges à Éviter (Les Erreurs du Débutant Actif)
Attention, l’apprentissage vient avec son lot d’écueils. En tant que coach, je vous mets en garde contre les trois erreurs classiques que je vois le plus souvent chez l’apprenti pilote actif :
- Le Robot Crispé : C’est la première réaction lorsque l’on se concentre trop sur la Position. Vous appliquez la théorie, mais vous devenez rigide comme un piquet. C’est le retour au mode passif par excès de zèle ! La solution est le mouvement : une fois en position, bougez ! Dansez sur le vélo, bougez vos hanches, soyez souple. La position d’attaque est une base de départ, pas une statue de bronze.
- La Vision Tunnel : En vous forçant à regarder loin (ce qui est juste), vous risquez d’oublier ce qui est juste devant vous. La solution est le balayage actif : votre regard doit fonctionner comme un essuie-glace. Il ne s’agit pas d’une fixation, mais d’un mouvement constant : Loin $\rightarrow$ Proche $\rightarrow$ Loin. C’est une boucle, pas un point unique.
- Le Sur-Pilotage : Vous exagérez les mouvements de « pousser/tirer », ce qui vous épuise et vous déséquilibre. La solution est la fluidité avant la force : au début, cherchez avant tout des mouvements de faible amplitude et doux. Ne forcez pas la puissance. L’efficacité et la force viendront naturellement avec la répétition et le temps.
La Philosophie du Progrès – Devenir son Propre Mentor
Franchisez ce cap final. Le passage au pilotage actif n’est pas qu’une question de technique, de bras ou de jambes. C’est avant tout une question d’état d’esprit.
Vous allez inévitablement connaître le « creux de la vague ». En apprenant à faire autrement, vous serez probablement moins rapide et moins à l’aise qu’avant pendant un certain temps. C’est le signal que vous êtes en train de désapprendre vos mauvaises habitudes ; c’est la phase la plus importante de tout changement. Surtout, soyez bienveillant envers vous-même. Vous ferez des erreurs. Le mode passif reviendra les jours de fatigue. Ne vous jugez pas, mais analysez avec une curiosité détachée : « Tiens, pourquoi j’ai réagi comme ça ? ».
N’oubliez jamais que le Jeu prime sur l’Enjeu. Parfois, la meilleure façon de progresser est d’arrêter d’essayer de progresser. Prenez une heure sur un terrain plat pour simplement jouer avec votre vélo. Faites des wheelings (même ratés), des trackstands, des petits manuals. Ce jeu décomplexé construit une connexion intime, quasi instinctive, avec votre machine. C’est cette connexion qui se ressentira le plus lorsque vous serez sur le sentier.
Conclusion : De Passager à Partenaire
Devenir un pilote actif, ce n’est pas dominer son vélo. C’est entrer en partenariat avec lui. C’est établir un dialogue où vous donnez une intention claire, et où le vélo vous répond par plus de grip, de vitesse et de stabilité.
Ce changement n’est pas un interrupteur « ON/OFF ». Pensez-y comme à un curseur que vous apprendrez à pousser un peu plus vers « ACTIF » à chaque sortie. Cet engagement demande de l’énergie au début, certes, mais il devient rapidement une seconde nature. Et surtout, il devient la source d’un plaisir de pilotage que vous n’imaginiez peut-être même pas.
Alors, la prochaine fois que vous prendrez votre vélo, avant de lâcher les freins, prenez une grande inspiration et posez-vous la seule question qui vaille : « Aujourd’hui, qui pilote ? »
Vous avez la réponse. Maintenant, à vous de jouer.
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